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« Le Mage du Kremlin » au théâtre, une plongée glaçante au cœur du pouvoir russe

La Russie n’est pas un pays où il fait bon vivre, ainsi que le suggère la mise en scène glacée du Mage du Kremlin par Roland Auzet. Librement adapté du roman de Giuliano da Empoli (Gallimard), dont la sortie, en avril 2022, avait été saluée par le Grand Prix du roman de l’Académie française, ce spectacle ouvre par une note de franche gravité la saison de la Scala Paris.
Presque deux heures d’une représentation qui se veut sérieuse sur l’état politique délétère de la Russie contemporaine. L’analyse du régime poutinien, sa dimension fasciste, ses épigones dispersés un peu partout dans le monde : le projet n’incite pas à la légèreté, alors que bien des autocrates se tiennent en embuscade de part et d’autre de l’Europe. On sourit d’autant moins que la mise en scène use et abuse d’artifices vidéastes et sonores pour amplifier la portée dramatique du propos.
Le spectacle s’inscrit dans un dispositif impressionnant de froides vidéos, de lumières aveuglantes ou de projections stroboscopiques agressives. Une scénographie dont la force de frappe visuelle prend avec autorité le public en otage. L’image ne se fait pas discrète, alors même que les mots dits par les comédiens se dérobent à la compréhension. Or des mots, il y en a beaucoup qui déferlent en français, voire s’éructent en russe (pas toujours traduit), sur le plateau de la Scala. Des torrents de phrases qui ne parviennent pas à s’émanciper de leur matrice littéraire.
Le style de Giuliano da Empoli, qui flambe à l’écrit, alourdit à l’oral la profération des acteurs. Pourtant équipés de micros HF, et dirigés sur scène comme s’ils jouaient un épisode de série télé, ils doivent braver de tortueuses logorrhées et courent derrière les points finaux en quête d’oxygène. Pour certains, cette traversée relève d’un infernal marathon. Ce qui n’aide pas à saisir la portée des discours théoriques énoncés sur la Russie d’hier et d’aujourd’hui.
Mais il serait injuste d’imputer aux seuls interprètes les difficultés d’approche que pose le texte. Le problème est plus vaste. Sommes-nous, en effet, capables d’appréhender en deux heures la nature profonde d’un pays dont l’histoire passée ou actuelle nous est étrangère ? Tsarisme, communisme, URSS, perestroïka et pour finir Vladimir Poutine : qu’il évolue en démocratie ou subisse la dictature, le peuple russe tient, mais, courbé ou debout, il ne se laisse pas facilement décrypter.
L’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch a eu beau livrer un portrait édifiant de la Russie post-soviétique dans son livre La Fin de l’homme rouge (Actes Sud, 2013), sa réalité reste une énigme insondable. C’est cette énigme que soulève le roman de Giulano da Empoli et que relaie, au risque de s’y engloutir, le spectacle.
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